Rencontre avec un vigneron. Un vrai.
J'avais trouvé son nom dans les guides (il faut bien qu'ils servent à quelque chose), et me rendis à Thoré-la-Rochette à l'occasion d'un week-end dans le Vendômois. Ma visite ne doit donc rien au hasard, car cette A.O.C. toute récente est loin de faire la une des revues et les vignerons honorés par la critique se comptent encore sur les doigts d'une main.
Il m'a fallu braver le froid et la nuit, en roulant vite sur de petites routes inconnues, pour ne pas rater Patrice Colin. Il m'attendait dans sa cave, sans doute impatient de rejoindre sa petite famille pour le dîner du samedi soir.
Peu affable de prime abord, il me prévint que nous n'aurions pas le temps de goûter toute la gamme. Nous sommes donc allés à l'essentiel.
Tout d'abord son blanc de la cuvée Pierre à feu, à aiguiser les couteaux. Si l'on m'avait dit qu'un Chenin pouvait atteindre une telle minéralité... Argile et silex, m'expliqua-t-il. Mais les petits rendements et l'art du vigneron se sentent déjà : le terroir est exprimé sans concession, mais l'acidité est bien équilibrée et la bouche est agréable. Une bonne alternative au muscadet et à l'aligoté, sur des huîtres.
On passe aux rouges et à la découverte d'un cépage autochtone, le pineau d'Aunis, dont Patrice Colin possède des ceps centenaires, et qu'il continue de planter en rangs serrés (7500 pieds à l'hectare, une densité qui le fait passer pour un dangereux malade aux alentours) pour compenser un rendement par pied volontairement limité : au final, du 35 hectolitres à l'hectare, ce qui est très faible pour un vin que l'on devra vendre entre 5 et 7 €.
C'est là, lorsque la passion défie les lois de l'économie, que la démarche devient admirable. Il faut en vouloir pour rechercher à tout prix la qualité lorsque la réputation de l'appellation ne permet pas de vendre le produit à sa juste valeur. Heureusement, l'amateur est immédiatement séduit par la concentration naturelle du vin, qui ne tient qu'à une parfaite maturité des raisins (Patrice Colin précise qu'il a presque toujours trop de potentiel alcoolique à la récolte). Il n'y a pas de secret : on fabrique de bons vins en vendangeant au bon moment, souvent plus tard que ses voisins frileux qui craignent la grêle ou la pourriture et préfèrent rentrer des raisins à 10° de potentiel et chaptaliser.
Le pur pineau d'Aunis de la cuvée Émilien Colin et, sur les plus vieilles vignes, de la magnifique cuvée Intuition, n'est pas banal : il frappe par un nez de poivre (blanc, je dirais, car sans piquant), qui devrait s'affiner avec le vieillissement. Et les tanins sont très mûrs, sans astringence. Il y a donc là une structure digne d'un bon vin des côtes-de-nuit, et ce n'est pas un mince compliment. On pense aussi aux bourgueils de Yannick Amirault, pour la concentration, mais sans le long élevage en barrique qui nous oblige à les attendre au moins cinq ans.
On peut assagir le pineau d'Aunis par l'assemblage avec le cabernet-franc (cépage habituel des grands vins de Loire) et le pinot noir (cépage du Sancerrois et de la Bourgogne) : cela donne la cuvée Pierre François, subtilement dosée, très surprenante par sa fraîcheur et son caractère digeste malgré la puissance, signe que la nature a été respectée par le vigneron, qu'il a vinifié en fonction de la matière dont il disposait, sans artifice.
Pendant cette heure de dégustation, Patrice Colin s'est finalement montré disert, chaleureux et sensible. Comme ses vins qui devront être ouverts une heure, deux heures, voire une journée à l'avance pour s'exprimer totalement.
En repartant lesté de quatre cartons, je me dis que si toutes les petites appellations avaient des vignerons comme celui-là, il n'y aurait plus de petites appellations.
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