mardi 8 février 2011

Porc, épisode 1 : histoire, races et élevage

Truie large white endormie
au Salon de l'Agriculture
Porcin trop humain
Ses points communs avec l'homme sont nombreux et troublants. Omnivore, le cochon partage avec homo sapiens sapiens 96 à 99 % de son patrimoine génétique, et lui prêtait d'ailleurs son insuline avant l'insuline de synthèse. Ses organes internes ayant une taille comparable aux nôtres, il se prête mieux que tout autre animal aux exogreffes. D'ailleurs sa peau est devenu si rose, au fil des mutations, qu'elle peut prendre des coups de soleil. C'est la seule bête qui peut avoir les yeux bleus. Son intelligence est à l'égale de celle du chien ou du cheval, ce qui en fait un compagnon astucieux pour chasser la truffe, mais également très joueur et facétieux lorsqu'on le laisse s'exprimer, ce qui est malheureusement trop rare. À l'instar de l'homme, il se montre souvent goinfre, et pas toujours difficile sur la qualité gustative de son alimentation, ce qui facilite son engraissement.
Aussi est-il facile de comprendre pourquoi le cochon symbolise la prospérité : la gestation de la truie dure moins de 4 mois, elle peut engendrer jusqu'à 24 porcelets par an, et un porc met un peu plus de 6 mois pour atteindre 115 kilos d'une viande grasse et donc très nourrissante, avec très peu de perte à la découpe.
Près d'un milliard de têtes sont produites chaque année, pour moitié élevées dans les fermes chinoises, dont la production artisanale ne suffit pas à satisfaire le marché intérieur. L'Europe est la seconde région productrice (Danemark, Pays-Bas, France), devant le Canada (en particulier le Québec), le Brésil et les États-Unis. Mais on élève du porc un peu partout dans le monde, à condition bien sûr qu'il ne fasse l'objet d'aucun interdit religieux.
L'origine de ce tabou fait encore débat. Il naît dans la région même où l'animal fut domestiqué au VIIe millénaire avant notre ère, bien après les espèces transhumantes (ovins et bovins), car le cochon ne bouge pas ses fesses et ne peut donc être élevé que par des sédentaires. On dit que les Cannéens le vénéraient et le sacrifiaient, ce qui aurait poussé leurs successeurs, les Hébreux, à le discréditer pour se démarquer des précédents locataires de Palestine. Ils auraient donc insisté sur la soi-disant impureté de l'animal, qui n'est certes pas moins sale que les autres suidés, mais dont la chair ne présente aucun danger sanitaire dès lors qu'elle est cuite à cœur. La bible justifie l'interdit par un dogme sybillin et péremptoire : le porc a le sabot fourchu et fendu (jusque là tout va bien), mais il ne rumine pas, ce qui l'exclut de la cuisine. Logique, non ? J'ai bien cherché des explications, mais il semble que je sois le seul à trouver cela bizarre. Toujours est-il que le Coran, avec un art consommé du copier-coller, a repris l'interdit mot pour mot sans y apporter la moindre nuance. Et l'on continue, à longueur de sermons et de sites web, à prévenir les petits Juifs et les petits musulmans des dangers mortels que leur ferait courir la consommation d'un milligramme de porc – pas moins de 70 maladies. Il faut croire que les sociétés n'existent que par leurs dégoûts collectifs. D'ailleurs, quel Occidental pourrait manger du chat ou du chien ?
Une autre thèse, sans doute d'origine psychanalytique, prétend que le tabou du porc viendrait justement de sa grande proximité avec l'homme : manger du porc serait donc une forme de cannibalisme inconscient.

Les races
La race la plus répandue en Europe est le grand porc blanc, ou large white, importé du Yorkshire au début du siècle. Particulièrement rustique et productif, il représente 60% du cheptel porcin français. Il est issu du croisement de deux souches que le zootechnicien Sanson nommaient race celtique et race ibérique, la troisième famille étant la race asiatique à laquelle appartiennent les porcs chinois (qui se mangent) et les cochons vietnamiens qui font de charmants animaux de compagnie (sans blague).
La diversité des races présentes sur notre sol est illustrée par ce magnifique poster de l'Institut du porc (IFIP), que j'envisage d'accrocher au-dessus du lit conjugal :


On notera en particulier les races régionales que des éleveurs passionnés s'entêtent à conserver :
- le porc de Bayeux (truie locale normande et verrat anglais berkshire) élevé dans le Bessin mais aussi dans le reste de la Normandie, et sa variante du Maine-et-Loire le porc de Longué (truie normande et verrat craonnais). Décimé par le débarquement des troupes alliés en Normandie, il est aujourd'hui perpétué par une quarantaine d'éleveurs pour sa viande magnifique, idéale pour la charcuterie.
- Le cul-noir du Limousin, dont le flambeau est encore porté par une trentaine de verrats, gambade dans les pâturages, les chênaies et les châtaigneraies de Haute-Vienne, et réjouit les amateurs de lard, puisqu'il en produit une couche de 15 cm (100 kg sur les 200 de son poids total à l'abattage) contre 1 cm pour le porc industriel.
- Le porc noir gascon, ou porc noir de Bigorre qui allait s'éteindre en 1981 lorsqu'il fut relancé à partir de 2 verrats (!) sur son territoire d'origine, le piémont pyrénéen (Astarac, Comminges, Bigorre) ; l'élevage extensif lui confère une viande rouge vif, très persillée.
- le pie noir du pays basque élevé en semi-liberté par Pierre Oteixa au fond de la vallée des Aldudes, qui donne un magnifique jambon cru que l'on peut acheter sur place ou dans la boutique parisienne.
- le porc nustrale de Corse, candidat à l'AOC, bouffeur de châtaignes et de glands en quasi-liberté, pourvoyeur de coppa et de lonzu de qualité.

Porc ibérique
Impossible de ne pas évoquer l'Espagne et sa magnifique race ibérique, qui produit sans conteste le meilleur jambon du monde, titulaire d'une AOC (denominación de origen jamón ibérico) malheureusement étendue à des porcs gavés aux céréales. Qu'on se le dise, le seul jambon ibérique digne de ce nom provient de porcs exclusivement nourris de glands (en espagnol bellotas) et autres produits naturels de la dehesa (pâture en sous-bois clairsemé typique de la péninsule et du Maghreb). Mais je m'arrête là, car ce produit d'exception mérite un article particulier. Attention tout de même au terme pata negra, non-officiel car il désigne un détail anatomique qui ne suffit pas à caractériser la race ibérique (les onglons noirs). Quand au serrano, il est produit à partir de porcs blancs.
La plupart des autres spécialités charcutières d'Europe, comme l'excellent jambon de Parme, sont faites à partir de large white, de landrace ou de races proches tel que le porc laineux (Suisse, Allemagne, Autriche, Hongrie).

L'élevage
Présentons tout d'abord les membres de la famille Cochon :
• Le porcelet est le petit de la truie.
• La cochette est une femelle reproductrice qui n’a pas encore eu de petits.
• La truie est une femelle reproductrice qui a déjà eu une portée.
• Le verrat est un mâle reproducteur.
• Le goret (ou cochon de lait dans l'assiette) est un porcelet de 5 semaines.
• Le nourrain est un jeune porc sevré.
• Le porc charcutier est un mâle ou une femelle élevé pour sa viande.
Après avoir tété sa mère 4 à 8 semaines, le porcelet pèse déjà 8 kilos. Il entre dans une période dite de post-sevrage, d'une durée de 5 à 6 semaines, au cours de laquelle on le nourrit d'un mélange de céréales et de produits laitiers, ce qui l'amène à plus de 25 kilos. 
Vient enfin la phase d'engraissement, dont la durée et le déroulement diffèrent selon le type d'élevage :
Élevage en bâtiment sur caillebotis (plus 90% de la production) : les porcs sont enfermés jusqu'à leur abattage dans un hangar muni de sols ajourés en béton permettant l'évacuation de leurs déjections : on désigne du joli nom de lisier le torrent d'urine et d'excrément ainsi recueilli et stocké en fosse (couverte ou aérienne), avant d'être épandu sur les cultures maraîchères en guise d'engrais. C'est ainsi que la Bretagne, qui produit 57% du porc français, a pollué l'ensemble de ses rivières, décimé ses saumons, saturé de nitrates ses nappes phréatiques et favorisé l'apparition d'algues toxiques sur ses côtes. Cet élevage industriel (presque 1000 porcs en moyenne par exploitation) privilégie bien sûr le régime alimentaire le plus rentable, à grand renfort de céréales (blé, orge, soja, maïs) et d'une dose importante d'oléoprotéagineux et de minéraux. Le porc mange plus de 2,1 kilos par jour pour un GMQ (gain moyen quotidien) de 778 g en France : qui dit mieux ? Eh bien les Suédois, recordmen d'Europe avec un GMQ de 880 g ! C'est ainsi que l'on obtient en moins de 4 mois un porc de 115 à 120 kg, qu'il faut se dépêcher d'abattre avant que la courbe de poids ne s'infléchisse... 
Les conditions de l'élevage porcin intensif restent scandaleuses. La réglementation européenne accorde royalement une surface de 0,65 m² aux porcs entre 85 et 110 kilos. Quand aux truies, elles sont engoncées dans des stalles où elles ne peuvent pas se retourner, et à peine se coucher. Les porcelets, sevrés trop précocement et castrés sans anesthésie, ne trouvent pour s'amuser que de mordiller la queue de leur congénères, ce qui a conduit beaucoup d'éleveurs à couper cet appendice jugé inutile, là encore sans anesthésie.
Élevage en bâtiment sur litière (5% de la production) : Les caillebotis sont remplacés par de la paille ou de la sciure, qui doit en théorie être renouvelée chaque jour. Les porcs disposent d'une plus grande surface et grossissent plus rapidement, mais ils ont un rendement viande/carcasse moins rentable que les porcs sur caillebotis.
Élevage en plein air (moins de 5% de la production) : les animaux sont au pré, et disposent de petites cabanes paillées pour s'abriter. L'alimentation est aussi diversifiée que la végétation le permet, et la croissance est beaucoup plus modérée. Les porcs de plein air sont abattus généralement entre 18 et 24 mois, autour de 200 kilos. 
Outre le respect de l'animal et son bien-être, nous verrons dans un prochain épisode que ce mode d'élevage est le seul qui puisse fournir une viande et des salaisons de qualité.

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