Au départ, la pomme de terre primeur est une parenthèse enchantée. Les patates normales, dites « de conservation », se récoltent entre septembre et novembre. Or les stocks de la récolte d'automne arrivent généralement à épuisement vers le mois d'avril. Pour avoir de quoi vendre en attendant la prochaine saison, certains maraîchers sèment juste après les dernières gelées pour récolter dès avril ces petits tubercules, bien avant leur maturité théorique (90 jours).
Cette production reste assez marginale, en raison de sa durée, de son rendement, mais aussi parce qu'elle craint le gel, ce qui la cantonne aux régions productrices les plus tempérées, généralement situées sur le littoral : Île de Ré (AOC) et Noirmoutiers (la célèbre Bonnotte) dès avril, puis en mai et juin la Camargue, la Provence et le Roussillon (AOC avec la variété Béa), et enfin la Bretagne et le Cotentin qui ferment le bal en juillet et en août.
La primeur ne pèse donc que 120 000 tonnes sur les 5 millions que produit la France chaque année, ce qui en fait presque un produit de luxe, surtout lorsque le marketing s'en mêle : la grenaille (terme qui indique un calibre inférieur à 35 mm, et non une variété) en provenance des côtes Atlantique est conditionnée dans de charmantes petites cagettes, avec un peu de tourbe pour faire terroir et les alourdir, et bien sûr un prix en conséquence, souvent proche de 4-5 € le kilo. Un peu cher pour des patates, serait-on tenté de dire ! Pourtant...
La pomme de terre nouvelle est un produit frais et fragile, en général non traité comme celle qui doit se vendre d'une année sur l'autre. D'où l'usage de la tourbe pour en assurer la conservation pendant les quelques jours suivants la récolte. Celle-ci doit se faire à la main en raison du petit calibre, et le rendement n'excède pas 25 t/ha. On ne peut espérer payer un tel produit au prix de la Bintje du Nord, récoltée à la machine 6 mois auparavant, abondamment traitée aux anti-germinatifs, et le plus souvent farineuse et insipide...
La primeur ne s'épluche pas, mais elle se lave, et peut se gratter avec un petit couteau pour enlever les yeux ou l'excédent de peau. Elle ne nécessite aucun trempage.
Trois cuissons lui conviennent parfaitement :
- simplement pochée ou à la vapeur, avec ensuite du beurre frais, un tour de poivre blanc et du persil, pour accompagner les poissons par exemple ;
- revenue à la poêle, avec du beurre clarifié, du ghee, de la graisse d'oie ou de l'huile ; il faut alors veiller à ce que la taille des pommes de terre soit homogène, quitte à en couper certaines en deux, et il faut mener la cuisson à feu moyen en surveillant pour ne pas les brûler ; salez à la fleur de sel en début de cuisson, et poivrez vers la fin ; on peut parfumer en fin de cuisson avec du thym frais, du persil, voire de l'ail finement ciselé ; ainsi cuisinée, elle accompagne à merveille les viandes grillées ;
- étuvée à feu doux dans une cocotte couverte, avec du beurre et de la fleur de sel (ou du beurre salé), quelques branches de thym frais, du poivre vers la fin ; inutile de démarrer à feu vif, car les pommes de terre prendront progressivement une jolie couleur, sans brûler si la cocotte est bien couverte et le feu modéré. Cette méthode très simple demande un peu plus de temps, mais elle concentre les parfums et la saveur sucrée de la primeur. On peut alors la servir seule, avec un autre légume, ou en accompagnement d'une viande blanche ou d'une volaille.
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