samedi 28 mai 2011

French Connection

Le prestige culinaire de la France existe bien à New York, mais il se nourrit de stéréotypes. Tandis que notre pays réinvente chaque jour sa cuisine, n'en déplaise aux prophètes du déclin, les expatriés reconstituent les décors de Minelli et perpétuent les recettes de grand-mère.

Qui mange encore du pot-au-feu au restaurant ? Les touristes étrangers qui se laissent séduire par les gargotes sans imagination des Halles ou du Quartier Latin. Mais aussi les New Yorkais qui pensent s'encanailler en fréquentant les bistrots ouverts en bas de chez eux par des chefs français : ainsi le plus ringard à Paris devient-il tendance à Manhattan. Ce qui n'est pas banal, croyez-moi.
Demarchelier, près de Central Park, ou Pastis dans le Meatpacking, vous font la carte d'une très ordinaire brasserie auvergnate sur de belles nappes blanches, avec des prix en conséquence.
Michel Plombet, récent fondateur de Parigot (photo), vous fait le croque-monsieur à 12 $ et le cassoulet à 28 $, dans une maison de poupée montmartroise.
Lorsqu'il ouvre un second restaurant sur Bowery, le triple-étoilé Daniel Boulud s'en tient au pâté de tête, au bourguignon et à l'omelette norvégienne : de la bonne vieille cuisine de brasserie lyonnaise dans un décor très design, cette fois, pour attirer les jeunes branchés du quartier. 
On pourrait en citer une bonne douzaine, tous adoubés par une ou deux fourchettes dans le Michelin local. Les mêmes à Paris n'auraient aucune chance de figurer dans l'édition française en raison de leur banalité. Mais transposé au pays du hot-dog, le saucisson aveyronnais fait figure de sommet gastronomique.
La cuisine française ne serait-elle créative qu'à partir de 250 $, dans les hôtels chic autour de Central Park, où officient les anciens élèves de Ducasse et Robuchon ? Pour un habitant de Manhattan qui ne ferait pas l'effort de traverser l'Atlantique, la réponse est claire : entre le canard à l'orange et la très haute virtuosité réservée aux happy fewnotre gastronomie n'a rien à offrir.
Dommage, car cette caricature n'a pas d'équivalent dans la restauration orientale, asiatique ou italienne (sauf justement à Little Italy, musée à ciel ouvert où les new-yorkais évitent de manger), dont les meilleurs chefs ne craignent pas de proposer des recettes originales et inventives, sans pour autant renier leurs traditions. Un virage que la French Connection ferait bien de prendre sans tarder, avant que les yuppies ne se lassent du tablier de sapeur.

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