La soif inextinguible des Français pour le rosé aiguise les appétits. Pour le pire, bien souvent...
La France est de loin le premier producteur de vin rosé, avec 28% du volume mondial, contre 21% pour l'Italie, 18% pour l'Espagne et 18% pour les Etats-Unis, les autres pays restant négligeables sur ce marché.
Mais cette abondante production n'étanche pas notre soif : malgré une augmentation de notre production nationale de 62% entre 2002 et 2009, la France est importatrice nette de rosé.
Il s'agit là d'une tendance lourde : la part du rosé dans la consommation nationale est passée de 10% en 1990 à 25% en 2010 ! La vente de rosés s'effectue à 43% en GMS (grandes et moyennes surfaces), ce qui amène les enseignes à lui accorder une part croissante dans les rayons. Logique, d'autant que les femmes, premières clientes des grandes surfaces, sont aussi les moteurs de ce marché : dans un sondage réalisé en 2011, 15,7% des femmes interrogées déclarent consommer principalement du vin rosé. Elles n’étaient que 6% en 2009.
Ce phénomène serait dû au développement de la cuisine exotique (que l'on marie au rosé quand on manque un peu d'imagination), à la déstructuration des repas, à une demande de boissons faciles d'accès et consensuelles.
On peut déplorer que la consommation de vin suivent de telles pentes, car elles amèneront les producteurs à flatter le goût du plus grand nombre, à « marketer » leurs produits plutôt que de suivre leur propre voie.
Déjà, le rayon rosé d'un supermarché laisse rêveur : forme des bouteilles, graphismes des étiquettes, invention de noms ou de marques, slogans racoleurs, toutes les fantaisies sont permises ! Le banal côtes-de-provence, s'il ne modernise pas sa présentation, prend un terrible coup de vieux. A ce petit jeu, les Anglo-Saxons, ou les négociants français qui les imitent, s'y entendent bien mieux que nos modestes vignerons. Et c'est là que le bât blesse, car derrière l'étiquette aguicheuse d'une grande marque, il y a une recette qui a fait ses preuves aux quatre coins du monde : des vins de cépages, aux rendements et aux volumes énormes, assemblés pour maintenir un niveau constant de qualité, médiocre en général, quelle que soit le millésime. La rigueur industrielle du soda, appliquée au vin.
Prenez la famille Gallo, au sommet du business viticole depuis des décennies. Ils produisent le même Grenache rosé depuis 50 ans, dont ils ont visiblement vendu quelques containers à l'enseigne Monoprix. J'ai voulu le tester, n'ayant aucun a priori sur le vin californien, parfois remarquable entre les mains de grands vinificateurs. Et je regrette amèrement ce « Gallo » d'essai. Honte aux acheteurs Monoprix : ce « vin » est un jus de fruit sans caractère, à peine buvable au-dessus de 5°, et surtout très doux en fin de bouche, dépourvu de toute acidité. L'étiquette annonce 9,5° d'alcool, sans doute pour séduire la ménagère, et ment sans la moindre vergogne en annonçant 3 g/l de sucre résiduel. Seulement ? Il faudrait le faire analyser, mais cette sensation de sirop de fraise qui vous tapisse la glotte et vous coupe l'appétit... Veut-on faire boire du vin aux petits enfants ? Que les Américains, les Anglais ou les Australiens aient une prédilection pour les breuvages doux et fruités, sans tannin ni acidité, grand bien leur fasse ! Mais que ce bonbon liquide trouve preneur sur le marché français, en se faisant passer pour du vin, ne me dit rien qui vaille...
Mesdames (et messieurs, car il ne leur est pas interdit d'aimer le rosé), méfiez-vous de ces escrocs de la limonade, de leurs étiquettes racoleuses, de leur promesses de légèreté ! Ces vins ne vous ferons pas moins grossir, ils ne vous saouleront pas moins qu'un coteaux-d'aix ou un tavel.
Encouragez plutôt le travail de vrais vignerons qui cherchent l'expression d'un terroir, et font les vins qu'ils ont envie de boire eux-mêmes, avec leur amis, autour d'une grillade ou d'une ratatouille. Le rosé ne se prend la tête : ce serait un comble qu'il nous donne mal au crâne !
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